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Vidéo / "Limiter le cumul des mandats peut donner plus de place aux femmes dans les syndicats"

Les femmes sont encore trop rarement présentes dans les instances de décision des organisations syndicales et patronales, relève une étude de Claire Guichet pour le Conseil économique social et environnemental. Pour y remédier, la chercheuse suggère d'en finir avec le cumul des mandats, d'instaurer des quotas et de favoriser "viviers internes" et réseaux féminins.

 

 

Examiner la place des femmes dans les forces vives (c'est à dire les organisations représentées au conseil économique social et environnementalCESE- comme les syndicats de salariés, les organisations patronales, la mutualité et le monde associatif), et suggérer des pistes à ces organisations pour parvenir à une plus grande féminisation de leurs équipes dirigeantes : c'est l'objet de l'étude réalisée par la chercheuse Claire Guichet, présentée hier en assemblée plénière au palais d'Iéna. Dans l’ensemble, le tableau dressé par Claire Guichet est celui d’une situation inégalitaire dans l’accès des femmes aux postes de responsabilités du monde syndical, patronal, associatif et mutualiste.

La parité entre hommes et femmes est un impératif démocratique

Or une juste représentation des femmes dans ces "forces vives" constitue aux yeux de la jeune femme un "impératif démocratique" (voir son interview en vidéo). S'agissant des syndicats de salariés, seules les organisations ayant opté pour des quotas de femmes, comme la CFDT (dès les années 80) et la CGT (qui a opté pour la parité en 2007), voient la représentation des femmes progresser sensiblement dans leurs instances de décision, constate la chercheuse en sciences politiques, qui siège au CESE dans la délégation aux droits des femmes et à l’égalité (*).

En 2015, la commission exécutive de la CGT, comme celle de la CFDT, compte la moitié de femmes. Les autres organisations syndicales, réfractaires à l’égard de toute mesure coercitive, peinent à faire évoluer les choses, alors même que de plus en plus de femmes sont syndiquées. Ainsi, les femmes y sont fortement sous-représentées dans leurs exécutifs nationaux. Si FO compte 5 femmes sur 13 membres dans son bureau confédéral, la CFTC n’en compte que 2 sur 15, l’Unsa 2 sur 10, la CGC ayant pour sa part 6 déléguées nationales sur 16, sachant que la présidence du syndicat et son secrétariat général sont occupés par des femmes depuis 2013. Le tableau est encore plus critique quand on examine les niveaux locaux, comme on le voit ci-dessous.

Part et responsabilités des femmes dans les principales organisations syndicales, en 2013-2014, en %
Part des femmes
CGT CFDT CGT-FO CFTC CFE-CGC
Syndiquées 36.8 47 45 42 29.1
Déléguées au congrès 45 39 43 32 13.5
Dans les comités (ou conseils) nationaux (ou confédéraux) 30,8 28.5 10 16 37
Dans les comités exécutifs (ou bureaux) confédéraux 50 33 11.5 16 33
Dans les bureaux (ou comités de direction, commission exécutive) confédéraux 50 37 38 28 30
Secrétaires générales de fédérations 17,8 17 9 14 17.1
Secrétaires générales d'unions départementales 23,9

18.6 (mais 27% en 2013 dans les unions régionales)

11 30 6

Source : Rachel Silvera, Mage, journées nationales des drtois des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes de mars 2014

 

Des résistances fortes à une féminisation des appareils

Car les résistances sont fortes pour parvenir à un rééquilibrage des sexes. "Nous avons un modèle de référence historique très masculin, auquel les femmes ne peuvent pas s’identifier", analyse Claire Guichet. Ce modèle, c’est l’image du leader syndical omniprésent, surinvesti, quasiment une "figure sacrificielle" qui consacre toute sa vie à ses mandats. Cette culture du "présentiel" dans les parcours militants écarte naturellement les femmes, étant donné le temps qu’elles doivent encore consacrer aux tâches ménagères, qui restent inégalement réparties dans les couples, sans même parler ici des temps partiels. "Pour être identifié et être promu dans les organisations, il faut être tout le temps présent, intervenir sans cesse pour être reconnu", constate Claire Guichet. En outre, l’accès aux responsabilités syndicales se fait certes parce qu’une personne se déclare candidate, mais aussi parce qu’elle est sollicitée par d’autres. "Dans les milieux masculins, cela encourage forcément une évolution très lente vers un rééquilibrage entre hommes et femmes", ajoute la chercheuse. Enfin, il existe aussi une forme d’autocensure chez les femmes. "De par leur éducation et les rôles sociaux qui leur sont attribués, les femmes douteraient généralement plus que les hommes de leurs compétences et auraient davantage tendance à se dévaluer davantage quant à leur capacité à occuper certaines fonctions", estime l’étude.

Comment faire évoluer les choses ? En les rendant visibles, d’abord. L’étude du CESE, qui ne comporte aucune idée de réforme législative mais des solutions pratiques dont les organisations sont invitées à s’emparer, suggère aux organisations de mener un travail statistique pour connaître les inégalités existantes entre hommes et femmes dans leur sein, de former les militants à la question de ces inégalités, d’impliquer tous les échelons territoriaux.

Tout comportement ou propos sexiste doit être considéré comme inadmissible

Deuxième préconisation : un syndicat, comme d’ailleurs une organisation patronale, une coopérative ou une association, doit s’efforcer de devenir un "espace serein et émancipateur". Traduction : l’organisation doit être perçue comme un espace ouvert aux femmes. La communication d’un syndicat veillera par exemple à ne pas utiliser d’images ou de clichés sexistes, et à bannir tout propos ou comportements sexistes en son sein. Il s’agit plus profondément d’encourager "une gouvernance plus transparente" et de prendre en compte des problématiques spécifiquement féminines comme l’égalité professionnelle. Troisième suggestion : diversifier les modèles d’investissement militant en valorisant "des normes raisonnables d’engagement". Une sorte de contre-modèle féminin au modèle masculin surinvesti.

Dissuader tout cumul de mandat

Claire Guichet juge en outre qu’il faut dissuader tout cumul de mandats, en parallèle (mandats sociaux en plus d'un mandat syndical, par exemple) mais aussi dans le temps. "Une personne n’est irremplaçable que parce que l’on n’a pas l’obligation de la remplacer", dit-elle. Autrement dit : rabattre les cartes peut ouvrir le jeu et faciliter la carrière des femmes. Cette politique doit aller de pair avec à une plus grande collégialité afin de mieux répartir les charges de travail. Dernière idée : "Renforcer les politiques volontaristes de féminisation ". Cela passe par une politique de quotas, jugée efficace en pratique. Mais pas seulement. L’étude pointe un certain nombre de bonnes pratiques pouvant permettre, sur la durée, l’accès plus fréquent des femmes aux responsabilités.

Ces pratiques vont par exemple d’une incitation à définir les compétences que doit avoir un élu syndical, par exemple (l’idée étant que les femmes ne douteraient plus qu’elles les ont, ces compétences), à la création de "viviers internes" et de réseaux féminins. "Ces réseaux apportent des résultats très efficaces car ils portent des revendications féministes et les femmes s’y investissent en confiance", estime Claire Guichet. Geneviève Bel, vice-présidente de la CGPME, a témoigné hier dans ce sens : si ce syndicat patronal compte 4 femmes sur 11 membres dans son bureau, dont 2 vice-présidentes chargées de l’économie et du social, c’est parce qu’un travail sur « l’entrepreunariat au féminin » a été mené en son sein. A titre de comparaison, bien qu’ayant déjà été présidée par une femme, le Medef ne compte que 17% des femmes dans son instance exécutive.

Quant à la représentation des sexes "équilibrée" que vise, pour les élections professionnelles à partir de 2017, la récente loi sur le dialogue social, la chercheuse se montre prudente. Oui, cela peut assurer davantage de mixité, dit-elle, mais attention à de possibles effets pervers...

(*) Claire Guichet fait partie de la Fage, fédération des associations générales étudiantes, reconnue comme une organisation étudiante représentative.

 

Le monde patronal très en retard

Comme le montre les statistiques ci-dessous, les organisations patronales, en dépit de certaines bonnes pratiques comme à la CGPME (lire plus haut), sont très loin d'une parité hommes femmes en leur sein. Exemple : alors même que les femmes chefs d'entreprises sont de plus en plus nombreuses, le Medef peine à se féminiser. Il ne compte en 2015 que 17% de femmes dans son comité exécutif. De plus, l'étude du CESE souligne qu'il y a "une division sexuée" du travail de représentation dans le monde patronal. Autrement dit, les femmes sont souvent cantonnées à certains mandats : les prud'hommes, les mandats sociaux, ceux liés à l'emploi ou à l'apprentissage. Inversement, les instances très économiques comprennent très peu de femmes : seulement 14,8% dans les chambres de commerce et d'industrie en 2014.

La place des élues dans les instances dirigeantes des confédérations patronales en 2002, en %
  Part des femmes dans le bureau national Part des femmes présidentes de fédérations Part des femmes présidentes de structures territoriales
MEDEF 15.5 6.5 8.2
CGMPE 8.3 2.3 15.7
UPA 15 donnée non disponible donnée non disponible
UNAPL 16 31.6 13.7
Moyenne de l'ensemble 13.7 13.3 12.5

Source : CESE, les forces vives au féminin, Claire Guichet, octobre 2015

 

 

Bernard Domergue
Ecrit par
Bernard Domergue