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La conférence sociale évite les sujets qui fâchent

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Bernadette Groison, de la FSU, explique les raisons de son départ de la conférence sociale en 2014 (archives)
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Enjamber les difficultés présentes pour discuter d'enjeux de long terme, autour du compte personnel d'activité (CPA), de la transition énergétique, du numérique et de l'industrie : c'est le choix fait par le gouvernement pour la conférence sociale qui a lieu ce jour au CESE. La réforme de la négociation collective n'est officiellement pas au menu.

En début d'année, François Hollande avait annoncé la fin des conférences sociales au profit de plusieurs conférences thématiques, "sur des thèmes précis, avec des préparations plus longues, des échanges plus directs et des décisions plus rapides". Il faut dire que ces grands rendez-vous nationaux de concertation sociale, destinés à légitimer les partenaires sociaux en construisant avec eux une feuille de route, c'est à dire un programme de réformes touchant notamment au droit du travail (lire notre encadré), avaient connu un sérieux couac l'an dernier avec le départ de la CGT, de FO et de la FSU, les trois syndicats dénonçant un simulacre de concertation.

Surprise neuf mois plus tard : la conférence sociale générale est de retour ce lundi 19 octobre au palais d'Iéna, siège du conseil économique, social et environnemental (CESE). Elle ne dure toutefois qu'une journée, au lieu de deux, et se fera en l'absence de Solidaires et de la CGT, laquelle a décidé, après les événements d'Air France, de boycotter la journée. "L'absence de la CGT ne signifie pas la fin de la France ni de son modèle social. C'est dommage dans la mesure où certains sujets à l'ordre du jour ont été portés par ce syndicat, comme la sécurité sociale professionnelle ou la politique industrielle", s'agace un proche de François Hollande. L'exécutif justifie d'autre part de réduire le thème et la durée de la conférence par le fait que nombre de réformes ont été réalisées (lire notre encadré).

Une loi sur le travail début 2016

Peut-être. Mais les sujets qui fâchent, comme la réforme du code du travail avec la mise en musique des propositions du rapport Combrexelle sur la négociation collective, ne sont pas officiellement au menu des trois tables rondes prévues aujourd'hui. "La concertation des partenaires sociaux est déjà engagée par le ministre du Travail autour du rapport Combrexelle", fait-on savoir dans l'entourage de Myriam El Khomri, qui a succédé à François Rebsamen au ministère du Travail. La transposition de ces propositions devrait être intégrée à la loi Travail que la nouvelle ministre devrait présenter début 2016, pour une adoption avant l'été. Un calendrier serré au vu du contenu de la loi, qui devrait également traiter du futur compte personnel d'activité (CPA) et des aspects liés au droit du travail concernant le numérique. Sur tous ces sujets, il est donc peu probable qu'une véritable négociation entre partenaires sociaux précède l'élaboration de la loi. Le sujet de la réforme de la négociation collective (prédominance donnée aux accords d'entreprise à condition que ceux-ci soient majoritaires, avec un champ dérogatoire élargi) pourrait néanmoins être au menu des discussions informelles qu'auront, avec le Président de la République et le Premier ministre, les partenaires sociaux de 8h30 à 11h ce matin, en parallèle à la plénière.

Une conférence plénière en forme de colloque

Pour établir le programme de travail de cette conférence sociale, le gouvernement a choisi d'éviter les dossiers qui fâchent et de faire plancher les partenaires sociaux sur des sujets de long terme, une façon de dire que le gouvernement, qui peine à annoncer des résultats tangibles en matière d'emploi, prépare l'avenir. Le matin, de 9h30 à 11h30, il sera ainsi question, en assemblée plénière, des "mutations du travail sous l'effet de la révolution numérique". Un thème inévitable aujourd'hui, selon le ministère du Travail : nul métier n'échappant aux transformations apportées par le numérique, "il faut se préoccuper aujourd'hui de l'évolution des compétences des salariés" afin que la France reste compétitive dans le monde de demain.

Cette matinée aux allures de colloque universitaire est animée par la chercheuse Pascale Levet (institut Middlenext). De multiples acteurs interviendront : l'association Astrees restituera la vision du travail de demain imaginé par une cinquantaine de jeunes; Benoit Thieulin, président du Conseil national du numérique, dressera une carte des enjeux du numérique. L'anthropologue Stefana Brodabent évoquera "l'intimité au travail" dans la société numérique et Hervé Lanouzière, le directeur de l'Agence pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), planchera sur le rapport entre le numérique et le travail collectif. Pour sa part, la sociologue Marie-Anne Dujarier parlera des "nouvelles figures du travailleur",  et Bruno Mettling, le DRH d'Orange, de son rapport récent sur le numérique qui propose entre autres un forfait jour "sécurisé" pour ce secteur.

Les 3 tables rondes

A la suite de cette plénière, pendant laquelle le chef d'Etat aura échangé avec les partenaires sociaux, François Hollande prononcera un discours une nouvelle fois centré sur le dialogue social. L'après midi, les tables rondes thématiques porteront sur :

- la sécurisation des parcours professionnels et la création du compte personnel d'activité, à partir des travaux de France Stratégie (table ronde présidée par Myriam El Khomri, la ministre du Travail). Rappelons que ce compte, qui ne devrait voir le jour qu'en 2017, est destiné à regrouper en une même interface l'ensemble des droits qu'un individu accumule au long de sa carrière (formation, pénibilité, compte épargne temps, assurance chômage, etc.) afin de lui permettre de les faire jouer plus rapidement en se formant, par exemple, pour rebondir après un licenciement;

- la transition énergétique et ses enjeux pour l'emploi (présidée par Ségolène Royal, la ministre de l'Ecologie). Autrement dit : quel nouveau modèle productif souhaite-t-on pour la France ?

- la nouvelle France industrielle et la transformation numérique (présidée par Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie), un thème pour partie déjà abordé le matin et qui devrait faire l'objet d'une nouvelle loi Macron, sans doute inspirée par le rapport Mettling.

Ces trois tables rondes feront l'objet de restitutions par des "facilitateurs", en l'occurrence Jean-Marie Marx (directeur général de l'Association pour l'emploi des cadres, l'Apec) pour la sécurisation des parcours et le CPA, Yves Barou (président de l'association pour la formation professionnelle des adultes, l'Afpa) pour la transition énergétique et Isabelle Kocher (DG adjointe d'Engie, ex-GDF-Suez) pour la nouvelle France industrielle et la transformation numérique. C'est le Premier ministre, Manuel Valls, qui concluera la journée par un discours où il devrait annoncer les grandes lignes du calendrier législatif à venir.

 

Les précédentes tables rondes et les lois qui ont suivi

Etaient au menu de la conférence sociale de juillet 2012 : l'emploi des jeunes; les compétences et formation tout au long de la vie; des systèmes de rémunération justes et efficaces; l'égalité professionnelle femme homme; l'avenir des retraites et de la protection sociale; la modernisation de la fonction publique.

►La loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013 a instauré des délais préfix pour le CE, créé la base de données économiques et sociales pour la nouvelle consultation sur la stratégie de l'entreprise, créé une instance de coordination nationale pour le CHSCT, modifié les PSE en instaurant le principe d'accord majoritaire avec contrôle par l'administration des plans sociaux, créé les accords de maintien dans l'emploi, instauré le principe d'une complémentaire obligatoire pour tous les salariés, etc.

La conférence de juin 2013 a évoqué : l'emploi et la formation professionnelle; les conditions de travail et la santé des salariés; les filières et les emplois de demain; l'avenir des retraites et de la protection sociale; la modernisation de l'action publique; la relance de l'Europe sociale.

►La loi du 21 janvier 2014 a réformé les retraites en reconnaissant la pénibilité. La loi du 5 mars 2014 sur la formation et démocratie sociale a réformé la représentativité patronale et le financement syndical, posé le principe de la transparence financière des CE et créé le compte personnel de formation. La loi du 4 août 2014 a modifié le congé parental ainsi que la négociation sur l'égalité professionnelle.

La conférence de juillet 2014 a porté sur : l'emploi (jeunes, seniors, personnes en difficulté); l'insertion professionnelle des jeunes; la croissance et l'emploi en Europe; la croissance par l'investissement; la rémunération équitable; la politique de santé; le dialogue social dans l'action publique.

►La loi du 17 août 2015 sur le dialogue social a réformé les instances représentatives du personnel tandis que la loi du 6 août 2015 (dite loi Macron) a modifié de nombreux articles du droit du travail (travail dominical, prud'hommes, PSE, délit d'entrave, etc.).

 

Bernard Domergue
Ecrit par
Bernard Domergue