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"Une cotisation sociale permettrait de financer les heures de délégation"

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Thomas Breda
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Pour un véritable dialogue social dans les entreprises, l'économiste Thomas Breda lance plusieurs idées originales voire iconoclastes, comme un fonds mutualisé pour financer les heures de délégation ou une appréciation des salariés sur l'action de leurs représentants du personnel. Interview.

Nous vous avons proposé lundi 11 janvier un compte rendu de la description donnée par Thomas Breda des élus du personnel dans son ouvrage à paraître, "Les représentants du personnel", qui contient des éléments inédits à notre connaissance sur les ruptures conventionnelles des salariés protégés (*). Dans son livre, ce chercheur, un économiste qui n'est pas un spécialiste des élus du personnel, estime "viciée" la situation de la négociation collective en France. Pour conforter l'action des élus du personnel et le dialogue social, l'auteur fait plusieurs suggestions originales. C'est l'objet de cette interview réalisée à Paris le vendredi 8 janvier.

Pourquoi, selon vous, le cadre institutionnel français ne répond-il pas à l'objectif d'un dialogue social démocratique ?

Il y a à mes yeux un problème de représentativité des délégués syndicaux. Certes, depuis 2008, il faut qu’ils obtiennent au moins 10% des voix aux élections professionnelles pour être désignés, mais ce n’est pas une contrainte très forte. Car dans un contexte de forte discrimination des représentants du personnel, les salariés ont peur de se syndiquer et de devenir élus du personnel, si bien qu’il y a souvent peu de candidats aux élections professionnelles. C’est d’ailleurs la première raison à l’absence d’institutions représentatives dans certaines entreprises.

Il y a peu de candidats aux élections professionnelles

 Quand il y a des candidats, ils ne sont pas très nombreux, sauf dans les grandes entreprises, et ce sont des personnes prêtes à s’investir beaucoup pour leurs collègues et à faire face à ces éventuelles représailles de l’employeur. Ce sont donc des personnes qui peuvent être très militantes et qui vont importer dans l’entreprise la vision extérieure, parfois très politique, d’un syndicat. Ce contexte peut aussi générer l’élection comme représentants du personnel de salariés désireux avant tout de se protéger eux-mêmes ou n’ayant plus de perspectives professionnelles. Dans les deux cas, ces approches ne correspondent pas forcément aux attentes des salariés qui les ont élus et ne garantissent pas que ces représentants ont le soutien effectif des salariés, ce qui pose un sérieux problème pour le dialogue social.

Il y a quand même un contrôle démocratique sur les élus lors du renouvellement électoral, non ?

Oui mais c’est un contrôle démocratique assez faible compte-tenu du faible nombre de candidats. Je propose donc l’idée d’un véritable contrôle, ou plutôt d’une appréciation plus régulière, des élus et délégués. Pour moi, bien sûr, cette évaluation ne doit pas être faite par l’employeur, car il s’agirait d’un conflit d’intérêts évident ! Je pense donc qu’il faudrait imaginer un cadre légal permettant aux salariés et aux syndicats d’apprécier plus régulièrement l'action des élus du personnel, dans des consultations à définir mais qui ne seraient pas des référendums à l’initiative des employeurs.

Mais de plus en plus de contraintes, comme la transparence financière des CE, pèsent sur les élus. Pourquoi en ajouter une ?

La question essentielle, c’est celle du soutien que peuvent apporter les salariés à leurs représentants afin que ceux-ci négocient efficacement en leur nom, face à l’employeur. S’il y avait un véritable soutien des salariés à leurs représentants, la discrimination dont les élus sont victimes serait plus difficile. Le coût social et en termes d’image pour un employeur qui discriminerait un représentant soutenu par les salariés serait beaucoup trop élevé, il ne pourrait pas le faire. Mais ce ne sont pas mes seules propositions. Je pense qu’il faut aussi mieux protéger les élus du personnel, par exemple en facilitant les procédures pour prouver une discrimination syndicale, l’Observatoire de la discrimination et de la répression syndicale a d’ailleurs de nombreuses idées sur le sujet. Il faudrait aussi, dans le cas ultime où il n’y a pas de conciliation possible entre un employeur et un élu du personnel, que ce dernier puisse se voir proposer une porte de sortie, comme par exemple vers une fonction paritaire à l’extérieur de l’entreprise. De façon générale, je pense qu’il faut revaloriser les mandats des élus du personnel.

Il y a dans la loi Rebsamen une garantie d’évolution salariale pour les élus dont 30% du temps de travail au moins est occupé par les heures de délégation…

C’est un premier pas positif. D'ailleurs étonnant : qu’un gouvernement fasse voter, en 2015, une loi comportant une progression administrée des salaires s’oppose à l’évolution générale vers la dérégulation de l’économie et des entreprises.

Très peu d'élus seront concernés par la garantie d'évolution salariale 

Mais cette mesure ne concernera qu’un tout petit nombre de représentants du personnel, et sans doute d’abord les élus centraux des grandes sociétés. D’autre part, c’est une mesure qui pose aussi des difficultés. Garantir aux élus une évolution à la moyenne des autres progressions salariales peut être aussi vécue comme une limitation à la carrière ! Cela peut aussi inciter des salariés ayant de mauvaises évolutions salariales à devenir représentant pour avoir un minimum de progression garantie.

Vous proposez aussi un fonds mutualisé pour financer les heures de délégation des élus du personnel…

La protection sociale est financée par des cotisations, pourquoi ne pas faire de même pour le dialogue social ? Une cotisation de 0,6% du salaire brut dans les entreprises de plus de 10 salariés, une cotisation avec une part salariale et une part patronale, suffirait à financer la totalité des heures de délégation de ces entreprises. Ce système aurait l'avantage de ne pas conduire un employeur à vouloir éviter une représentation du personnel pour des raisons de coût, puisqu’en cas d’élection d’un élu, ses crédits d’heures seraient pris en charge par le fonds.

N’est-il pas naïf de penser que cela dissuaderait les comportements anti-syndicaux ou anti-IRP de certaines sociétés ?

Bien sûr, un antisyndicaliste primaire le resterait ! Mais cela pourrait néanmoins changer les pratiques. Si j’essaie de me mettre à la place d’un employeur, je vais considérer qu’on m’oblige à respecter des obligations légales extrêmement nombreuses et compliquées et que cela représente un coût important pour une petite société, comme par exemple l’organisation des élections professionnelles. Eliminer pour l’employeur le coût du crédit d’heures favoriserait le dialogue social dans l’entreprise. Avoir des représentants du personnel, pour un employeur, deviendrait un droit pour obtenir un financement.

Pourquoi proposez-vous de regrouper les IRP alors même que vous semblez critique sur la loi Rebsamen ?

Je critique surtout dans cette loi les dispositifs de valorisation des mandats des élus du personnel dans la mesure, encore une fois, où l’employeur ne devrait selon moi pas y être associé (lire notre encadré ci-dessous). Quant au regroupement des IRP prévu dans la loi, j’ai l’impression que cela reste une tentative très limitée. Pour moi, il faudrait aller plus loin pour favoriser le regroupement syndical et le regroupement des instances car ce serait favorable aux salariés.

Un regroupement syndical ?!

Il est très facile pour un employeur de diviser pour mieux régner, parfois même en créant des syndicats maison. Je propose donc d’obliger les syndicats d’une entreprise à former une coalition afin de parler d’une voix unique face à l’employeur lors d’une négociation. L’idée serait d’impulser une entente préalable entre syndicats sur des positions défendues ensuite par un ou deux représentants. Il en va de l’intérêt des salariés.

Vous allez faire hurler les syndicats. La CFE-CGC ne représente pas forcément les mêmes salariés que la CGT ou la CFDT…

Je ne dis pas qu’il ne faut qu’un syndicat : chaque organisation, devant les électeurs, a légitimement le droit de présenter son approche, ses valeurs. Simplement, devant l’employeur, sachant que ce qui est négocié s’applique ensuite à tous les salariés, je pense qu’il serait de l’intérêt des syndicats et du personnel qu’ils trouvent une position commune.

Quelles vertus présenterait selon vous un regroupement des IRP ?

En France, on sépare nettement la négociation syndicale, sur les salaires par exemple, du reste des aspects de la représentation du personnel (DP, CE, CHSCT). Du coup, on laisse aux seuls délégués syndicaux le rôle qui, du point de vue de l’employeur, est le plus négatif car il représente un risque d’augmentation du coût des salaires. Cette spécificité du rôle revendicatif met d’ailleurs en danger les délégués syndicaux. On devrait donc repenser la façon dont les instances se coordonnent, en amont des réunions et négociations avec l’employeur. Je ne dis pas qu’il faut réduire le nombre d’élus mais imaginer une meilleure coordination afin qu’une seule voix soit portée, au nom des salariés, face à l’employeur. Le patronat a proposé une fusion des IRP pour limiter les coûts. Mais je pense que cela irait plutôt dans le sens de l’intérêt des salariés.

(*) Les représentants du personnel, Thomas Breda, collection Sécuriser l'emploi, Presses de Sciences Po, 9€. La lecture de l'ouvrage est également possible dès à présent dans une version en ligne publiée sur le site suivant :  http://chaire-securisation.fr

 

Deux entretiens prévus pour les élus en début et fin de mandat

La loi Rebsamen instaure, dans ses articles 4 et 5, une meilleure valorisation des compétences acquises pendant le mandat. Sont notamment prévus un entretien de prise de mandat et un entretien de fin de mandat.

Le premier est ouvert à tous les représentants du personnel titulaires, à leur demande. Il porte sur les modalités pratiques d'exercice du mandat au sein de l'entreprise au regard de l'emploi du salarié. L'élu peut à se faire accompagner d'une personne de son choix lors de cet entretien, qui ne se confond pas avec l'entretien professionnel.

L'entretien de fin de mandat n'est lui prévu que pour les élus dont le mandat représente 30% du temps de travail. Ceux-là peuvent désormais bénéficier d'un entretien de fin de mandat visant à recenser les compétences acquises en cour de mandat et à préciser la manière de les valoriser. Le ministère du Travail et de la Formation doit d'ailleurs établir une liste des compétences professionnelles acquises lors d'un mandat de représentant du personnel ou d'un mandat syndical, ces compétences devant faire l'objet d'une certification professionnelle.

 

Bernard Domergue
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Bernard Domergue