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Vidéo / Faut-il s'inquiéter pour les libertés syndicales en France ?

Hier, plusieurs syndicats français, avec la confédération européenne des syndicats (CES), ont commémoré le premier anniversaire des actes terroristes de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher. Ils ont réaffirmé leur attachement aux valeurs républicaines, à commencer par les libertés, notamment syndicales, certains les estimant menacées par les projets du gouvernement.

 

 

 

C'est dans la bourse du travail de la rue du Château, à deux pas de la place de la République à Paris, où les hommages aux victimes du terrorisme continuent d'affluer, que les syndicats français et européens ont tenu hier un débat et une conférence de presse commune. Leur message : rendre hommage à toutes les victimes du terrorisme, en France comme à l'étranger (Tunisie, Turquie et Egypte ont beaucoup été citées par les participants), mais aussi donner un signe fort d'attachement aux valeurs démocratiques, qui ne doivent pas être oubliées au prétexte de la priorité donnée au combat contre le terrorisme.

Nous avons prolongé le débat en posant cette question à plusieurs leaders syndicaux français : doit-on s'inquiéter en France pour l'avenir des libertés syndicales, compte-tenu des projets du gouvernement visant à réviser la Constitution (intégration de l'état d'urgence et d'une déchéance de la nationalité pour les auteurs d'actes terroristes) ainsi que le code pénal ? Pour connaître leurs réponses, regardez notre vidéo ci-dessus.

 

"On ne devrait jamais limiter la liberté au nom de la guerre contre le terrorisme, et notamment la liberté d'expression et les libertés syndicales. Bien sûr, il faut parfois exceptionnellement faire la guerre mais la paix est le premier outil de protection que nous avons contre le terrorisme", a ainsi lancé Luca Visentini, le nouveau président de la Confédération européenne des syndicats (CES). Ce dernier a également mis en garde les salariés contre tout amalgame : "Les réfugiés qui viennent en Europe ne sont pas des terroristes mais bien souvent des victimes du terrorisme et des guerres. Nous devons les aider à s'intégrer dans nos pays pour qu'ils puissent y vivre décemment".

"Un état d'urgence sociale"

"Envers et contre tout", Luc Bérille, le secrétaire général de l'UNSA, a tenu, un exemplaire du journal à la main, à soutenir Charlie Hebdo au nom de la liberté éditoriale. "Face à des actes qui ont pour but de diviser la société, les syndicats ont aussi un rôle à jouer pour réaffirmer nos valeurs républicaines. Les parlementaires sont saisis de projets qui nous interrogent. Autant des situations exceptionnelles peuvent justifier des restrictions temporaires de libertés, autant en faire une règle permanente nous semble très dangereux", a-t-il alerté (*).

Il ne servirait à rien de céder du terrain sur nos libertés, a renchéri Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, en évoquant "l'état d'urgence sociale" qu'il faudrait proclamer dans notre pays. Une urgence qui le conduit à ne pas renoncer par principe - ou par autocensure, a renchéri Jean-Claude Mailly (FO)- à manifester. Les syndicats doivent répondre à cette crise sociale, notamment en combattant le racisme, a insisté Philippe Martinez.

"Rester vigilant"

Le mouvement syndical doit rester vigilant sur l'équilibre entre le besoin de sécurité et les valeurs de liberté, a pour sa part jugé Laurent Berger. Plus prudent que ses homologues sur les projets du gouvernement, même s'il a tenu à condamner tout projet visant à accroître les possibilités de déchéance de la nationalité, le secrétaire général de la CFDT a surtout insisté sur "le refus des barbelés et du repli sur soi".

La lutte contre le terrorisme passe par des moyens supplémentaires pour les forces de police "mais encore faut-il bien savoir qui aura les commandes", a mis en garde Joseph Thouvenel, de la CFTC, dans une allusion à la volonté du gouvernement d'accroître la possibilité pour l'administration d'ordonner des assignations à résidence y compris hors état d'urgence. "Le travail est bien sûr un lieu du "vivre ensemble", et le fait que plusieurs millions de citoyens soient exclus de la possibilité de travailler pose bien sûr question. Il manque dans ce pays un projet collectif porteurs de valeurs fortes : quel projet portons-nous ? Ce ne peut pas être celui d'un univers consumériste avec comme horizon la consommation et le travail le dimanche !" s'est énervé Joseph Thouvenel.

Crise sociale et terrorisme

Cette question du rapport entre la tentation de radicalisation qui s'empare de certaines jeunes et l'état social de notre pays a suscité un large débat. "Il n'y a bien sûr aucune justification au terrorisme mais le risque de délitement démocratique s'ancre dans les problèmes sociaux. Face à ce risque de fracture sociale, notre rôle n'est pas d'alimenter un débat stérile et sans aucune efficacité sur la déchéance, mais au contraire de rassembler", a soutenu Laurent Berger. Une analyse prolongée par Luc Bérille : "Il n'y a pas une seule raison, qui serait d'ordre social, à la radicalité de certains jeunes, il y a aussi une part importante d'aveuglement idéologique. Mais on ne pourra pas lutter contre le terrorisme avec une société fracturée". Pour Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, également très critique sur l'approche sécuritaire du gouvernement et du président de la République, "le pacte républicain doit aussi s'imposer sur le pacte budgétaire européen".

C'est Joseph Thouvenel, de la CFTC, qui aura fait le seul mea culpa collectif en regrettant que la réaction massive et populaire qui s'est produite depuis le massacre de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, début 2015, aurait pu et aurait dû survenir avant, au moment des assassinats d'enfants juifs perpétrés à Toulouse par Mohammed Merah en mars 2012.

(*) Selon le Monde, le gouvernement envisage de renforcer, dans un projet de loi transmis au Conseil d'Etat, "de façon pérenne les outils et moyens mis à disposition des autorités administratives et judiciaires, en dehors du cadre juridique temporaire mis en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence ». Le texte pourrait ainsi permettre au ministère de l'Intérieur d'ordonner, hors état d'urgence, une assignation à résidence pour des personnes de retour du djihad ou soupçonnées d'avoir "tenté de se rendre sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes". Le Monde voit dans ce projet une confirmation de la tendance visant à "marginaliser l'institution judiciaire, et d'abord les juges d'instruction statutairement indépendants, au profit des procureurs, nommés par le gouvernement".

 

 

 

La déclaration de la CES, entre hommage et demande d'une Europe plus sociale

Dans une déclaration en signe de solidarité avec le peuple français, la confédération européenne des syndicats (CES) a condamné hier "les attaques meurtrières commises à Paris" (lire en pièce jointe). Le texte rend hommage "à la bravoure de la police, des services de sécurité, d'urgence et des gens ordinaires" et il réaffirme l'engagement des syndicats européens sur la défense "des valeurs de solidarité, de démocratie et de paix". La CES appelle également "les Etats membres, les employeurs et les organisations de la société civile de l'Union européenne à collaborer de manière plus étroite en faveur d'une Europe plus équitable et plus sociale, à lutter contre le chômage (..) et à traiter la crise des réfugiés de façon humanitaire".

 

Bernard Domergue (texte et vidéo)
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Bernard Domergue (texte et vidéo)