A la une

Négociation collective, CE et CHSCT, licenciement, droits des salariés : le contenu de la loi Travail

Davantage de flexibilité sur le temps de travail, des accords de l'emploi offensifs, un recours possible au référendum, un accès des syndicats à l'intranet de l'entreprise, un nouveau barème prud'homal, des changements pour le CE et le CHSCT : le projet de loi travail, dont nous publions l'avant projet transmis au Conseil d'Etat, jette les bases d'une nouvelle architecture du droit du travail qui privilégie la négociation collective.

Le projet de loi Travail, que la ministre Myriam El Khomri présentera le 9 mars en conseil des ministres et dont le parcours parlementaire pourrait commencer en avril, comporte dans la version qui sera transmise aujourd'hui au Conseil d'Etat pas moins de 131 pages et 52 articles (lire en pièce jointe l'avant projet de loi complet). Ce projet, indique son nouvel intitulé, vise à "instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs". Au vu de ce qui suit, certains ne manqueront pas d'ironiser sur le choix d'un tel titre...

La nouvelle architecture du droit du travail

L'avant projet de loi balaie de très nombreux thèmes. Tout d'abord, il pose les bases d'une révision générale du code du travail. Le projet reprend les 61 "principes essentiels du droit du travail" écrits par la commission Badinter afin qu'ils figurent en préambule du code (exemple : "Article 13. Le contrat de travail est à durée indéterminée. Il ne peut être conclu pour une durée déterminée que dans les cas prévus par la loi"). Un code du travail qui sera réécrit entièrement dans les deux ans sur la base d'une commission d'experts et de praticiens des relations sociales. Cette commission, qui consultera les partenaires sociaux, et dont la composition sera définie par arrêtée du ministre du Travail, a un objectif précis : "Donner une place centrale à la négociation collecte, élargir ses domaines de compétences et son champ d'action", ce qui correspond aux préconisations du rapport Combrexelle.

Sans attendre les travaux de cette commission, le gouvernement se livre dans ce texte à l'exercice de la réécriture de la partie du code correspondant à la durée du travail et aux congés. Dans cette partie, l'avant projet de loi définit donc le principe (ou "ordre public"), la portée d'un accord sur le sujet ("champ de la négociation collective") et les règles qui s'appliquent en l'absence d'accord ("dispositions supplétives"). Au passage, de nouvelles souplesses sont accordées aux entreprises, le texte prévoyant par ailleurs un barème prud'homal (lire notre encadré ci-après).

Les jours supplémentaires de fractionnement deviennent supplétifs

Ainsi, si le fractionnement des congés payés reste d'ordre public, la prise de 12 jours de congés entre le 1er mai et le 31 octobre de chaque année, comme l'octroi de jours supplémentaires de fractionnement deviennent des dispositions supplétives. Cela signifie qu'elles ne seront applicables dans l'entreprise que si l'accord d'entreprise, d'établissement ou à défaut de branche, n'en dispose pas autrement. Car à la lecture de l'avant projet de loi, il semble que les entreprises devront négocier sur les congés. En effet, il est précisé qu'un accord "fixe" la période de congés, l'ordre des départs, les règles du fractionnement ou de report...

Des accords d'entreprise pourront déroger au taux de majoration des heures sup prévu par la branche

Une autre souplesse concerne la fixation du taux de majoration des heures supplémentaires (sur le temps de travail, voir notre article du 29 janvier : ce qui peut déjà être négocié en entreprise). Le taux de majoration pourra être différent de celui fixé par l'accord de branche, ce qui n'est pas possible actuellement, sans toutefois être inférieur à 10 %. A défaut d'accord, la majoration pour heures supplémentaires reste fixée à 25 % pour les 8 premières heures, les heures suivantes donnant lieu à une majoration de 50 %.

Des conventions de forfait possibles à défaut d'accord collectif

Même en l'absence d'accord collectif, le texte permet d'instaurer la possibilité de conclure des conventions individuelles de forfaits en jours et en heures sur l'année dans les entreprises de moins de 50 salariés. L'employeur devra fixer les règles et garanties minimales pour les salariés : catégories de salariés susceptibles de conclure une convention de forfait, période de référence du forfait (année civile ou une autre période de 12 mois), nombre de jours dans la limite de 218, contrôle de la charge de travail...

Un nouveau barème pour les indemnités prud'homales

L'avant projet de loi transmis au Conseil d'Etat et aux partenaires sociaux encadre également les indemnités prud'homales pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse, l'une des mesures les plus attendues par le patronat. Ces indemnités ne pourront pas excéder un certain montant (15 mois maximum) et pourront varier en fonction de l'ancienneté du salarié et non plus de la taille de l'entreprise comme le prévoyait le projet de loi Macron. Cette disposition avait été retoquée par le Conseil constitutionnel en août 2015.

Ne sont, toutefois, pas concernés par ces plafonds de nombreux cas : discrimination, non respect de l'égalité professionnelle, harcèlement moral ou sexuel, de corruption, violation de la protection accordée à la femme, accident du travail ou maladie professionnelle, aptitude-inaptitude, violation du statut des représentants du personnel, atteinte au droit de grève...

Cinq plafonds sont désormais fixés:

Ancienneté du salarié

Indemnité maximum,

en mois de salaires

Moins de 2 ans 3 mois
De 2 à 4 ans 6 mois
De 5 à 9 ans 9 mois
De 10 à 19 ans 12 mois
Au moins 20 ans 15 mois

 

La définition du licenciement économique révisée

L'article L1233-3 définissant le licenciement économique est réécrit par le projet.  Constituera désormais "un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

- à des difficultés économiques, caractérisées soit par une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires pendant plusieurs semestres consécutifs en comparaison avec la même période de l'année précédente, soit par des pertes d'exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie, soit par tout élément à justifier de ces difficultés;

- à des mutations technologiques;

- à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;

- à la cessation d'activité de l'entreprise".

La définition de ces éléments pourra faire l'objet d'un accord de branche. A défaut, la durée de baisse des commandes ou du chiffre d'affaires caractérisant une difficulté économique sera de 4 trimestres consécutifs et la durée des pertes d'exploitation d'un semestre.

Le nouvel article précise que l'appréciation de ces difficultés s'effectue au niveau de l'entreprise et, si celle-ci appartient à un groupe, "au niveau du secteur d'activité commun aux entreprises implantées sur le territoire national du groupe auquel elle appartient". 

La négociation collective revue avec un recours possible au référendum

Mais le projet du gouvernement ne consiste pas seulement en une réécriture, il touche aussi aux règles de la négociation collective et de validation des accords. L'avant projet de loi entend mettre de l’ordre dans la rédaction de l’accord d’entreprise. Tout accord devra dorénavant prévoir un préambule présentant de manière succincte son objectif et son contenu. Le texte négocié devra en particulier définir ses conditions de suivi et comporter des clauses de rendez-vous. Le non-respect de ces nouvelles contraintes n’affectera pas la validité de l’accord, est-il immédiatement précisé. Les partenaires sociaux pourront aussi organiser la méthode de la négociation pour en assurer la loyauté, renforcer "la confiance mutuelle entre les parties", et organiser les échanges d’informations. Ici également, l’absence de respect de la méthode définie n’affectera pas la validité des accords collectifs conclus, "dès lors qu’est respecté le principe de loyauté entre les parties". Par défaut, les accords collectifs seront conclus pour une durée de 5 ans.

Le texte du gouvernement revoit aussi les conditions de validité des accords d’entreprise. Exit la règle des 30% d’adhésion et de l’absence d’opposition des syndicats qui représentent 50% des salariés. Désormais et comme l’avait annoncé récemment la ministre du Travail, tout accord ou convention d’entreprise devra être majoritaire. Si cette condition de majorité n’est pas satisfaite mais que l’accord recueille la signature d’un ou plusieurs syndicats totalisant au moins 30% de représentativité, ce ou ces syndicats minoritaires pourront exiger "la consultation des salariés" (ndlr : autrement dit demander l’organisation d’un référendum). Dans ce dernier cas, l’accord négocié ne s’appliquera « que s’il est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés ».

Par ailleurs, en cas de dénonciation du statut collectif, le gouvernement semble enfin vouloir remplacer la notion "d’avantages individuels acquis" par le  "maintien de la rémunération perçue". Concrètement, en l’absence d’accord de substitution dans un délai de 15 mois, les salariés auront seulement droit au maintien d’une rémunération au moins équivalente à celle versée lors des douze derniers mois. Le récent rapport du professeur de droit Jean-François Cesaro, bien que critique à l’égard de la notion de "maintien des avantages individuels acquis", n’allait pas jusqu’à préconiser sa suppression.

Des accords pour l'emploi même sans difficultés économiques

Toujours à propos d'accord, le gouvernement souhaite élargir le principe des accords de maintien dans l'emploi "au développement de l'emploi". Il ne s'agirait donc plus seulement de préserver l'emploi dans une entreprise en difficulté (Ndlr : dans la version de l'avant projet, l'article L5125-1 qui encadre ce type d'accord n'est curieusement pas modifié). Même en bonne santé, une entreprise pourrait par accord changer la rémunération et la durée du travail de façon à ce que ces dispositions s'imposent au contrat du travail, mais cet accord ne devra pas, indique le texte, avoir pour effet une baisse de la rémunération mensuelle du salarié. Le salarié les refusant serait licencié pour cause réelle et sérieuse, une rupture pour motif personnel qui ne serait pas un licenciement économique.

Des crédits d'heures à la hausse pour les délégués syndicaux et un accès à l'intranet

Enfin, plusieurs points, dans l'avant projet, concernent les institutions représentatives du personnel et les mandats des représentants du personnel. Sans doute en contrepartie de l'importance accrue donnée à la négociation collective, le texte pourrait réviser à la hausse le crédit d'heures des délégués syndicaux :

Effectif Crédit d'heures en vigueur aujourd'hui Crédit d'heures prévu par l'avant-projet de loi Travail
de 50 à 150 salariés 10 heures par mois 12 heures par mois
de 151 à 499 salariés 15 heures par mois 18 heures par mois
à partir de 500 salariés 20 heures par mois 24 heures par mois

 

Le crédit d'heures pour chaque section syndicale en vue de la négociation d'un accord pourrait passer de 10h à 12 par an dans les entreprises d'au moins 500 salariés et de 15h à 18h dans celles d'au moins 1000 salariés.

Le texte pourrait aussi reprendre l'une des suggestions du rapport du Conseil national du numérique  concernant le droit des syndicats à accèder à l'intranet de l'entreprise, avec ou sans accord collectif. En revanche, l'utilisation de la messagerie électronique par les syndicats ne serait possible que si un accord d'entreprise le prévoit. 

CHSCT : le nouvel article sur l'expertise

La censure par le Conseil constitutionnel, en novembre 2015, de l'article L4614-13 qui oblige un employeur à payer les frais d'expertise du CHSCT, même lorsque la délibération est annulée en justice conduit le gouvernement à revoir cet article. L'employeur qui souhaite contester "la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise" devra saisir le juge judiciaire, ce qui suspendra la réalisation de l'expertise ainsi que la consultation, le juge devant statuer dans les dix jours suivant sa saisine. La nouvelle rédaction de l'article, telle qu'elle est envisagée, obligera l'expert à rembourser à l'employeur les sommes perçues "en cas d'annulation définitive par le juge de la décision du CHSCT". A noter une curiosité dans la version actuelle : le CE pourrait décider de prendre en charge, sur son budget de fonctionnement, les frais d'une expertise du CHSCT. Le comité d'entreprise pourrait aussi financer sur son budget de fonctionnement la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux de l'entreprise.

De la médecine du travail au numérique en passant par le CPA

Signalons encore que l'avant projet de loi comporte des parties sur l'apprentissage, la dématérialisation du bulletin de paie, le télétravail (les partenaires sociaux sont priés d'ouvrir une négociation sur le sujet avant octobre 2016), la médecine du travail, l'inspection du travail, le détachement, le futur compte personnel d'activité (avec la reprise de la position commune des partenaires sociaux). N'oublions pas les emplois saisonniers, la restructuration des branches, le portage salarial. Mais encore...les locaux syndicaux mis à la disposition par les collectivités territoriales, le numérique (avec un droit à la déconnexion) et les plateformes collaboratives (le texte pourrait définir les critères du lien de subordination et la responsabilité sociale des entreprises) ainsi que la représentativité patronale. Sur ce point, le projet reprend la pondération des critères pour la mesure d'audience sur laquelle Medef et CGPME sont tombés d'accord, le nombre d'entreprises adhérentes pesant 20% et le nombre de leurs salariés pesant 80% dans la mesure de l'audience. N'en jetez plus !

Bernard Domergue, avec Julien François, Eléonore Barriot et Anne Bariet
Ecrit par
Bernard Domergue, avec Julien François, Eléonore Barriot et Anne Bariet